la coupe du monde de football à Doha (24.10.22)

Numéro 43 – 24 octobre 2022 

Plus comme ça !

Les polémiques se multiplient autour de la coupe du monde de football de Doha : faut-il la boycotter ou sinon, comment marquer son mécontentement ? Beaucoup des arguments échangés tournent autour de l’idée : oui à la coupe du monde, mais pas comme ça, pas cette monarchie absolue, pas ce mépris de la vie humaine sur les chantiers des stades, pas cette débauche de gaz à effet de serre. La coupe aura lieu et comportera sûrement des moments de grâce : beaucoup des constructions humaines combinent des moments exaltants et des moments sordides. Peut-on agir pour que les coupes suivantes ne soient « plus comme ça » ?

 

C’est notre argent qui finance

Comme toujours, il faut suivre la piste de l’argent pour être efficace et tout ceci se fait (en partie) avec notre argent : la coupe avec ses stades invraisemblables est financée par trois sources principales :

  • Les droits des spectateurs : un peu ceux qui seront sur place et beaucoup ceux qui resteront chez eux à travers les droits de retransmission. L’Europe pèse lourd dans ces droits.
  • De grandes entreprises paient pour associer leur marque à l’évènement et la majorité vendent en Europe : Coca-Cola, McDonald, Visa, Adidas, Hyundai-Kia, InBev (Leffe, Stella Artois…). C’est l’argent de nos achats qui permet cette publicité.
  • Les financements publics des organisateurs qataris viennent presqu’exclusivement du gaz et du pétrole dont les Européens sont gourmands.

 

Peut-on jouer sur les financements ?

Les financements des spectateurs sont difficiles à remettre en cause : pendant quelques jours, la planète vibre à l’unisson sur des images qui ne sont ni une guerre, ni une catastrophe, ce sont des moments trop rares pour les sacrifier. La décision de certaines villes de ne pas retransmettre sur grand écran peut être saluée comme une saine économie de nos impôts locaux mais elle n’a pas grand-chose à voir avec un boycott, c’est seulement un accès de moins aux images omniprésentes de la coupe.

Notre addiction à l’énergie carbonée est en revanche une priorité parce qu’elle nourrit les pires fléaux du moment : elle finance l’invasion russe et elle détruit le climat, au point que la signature récente par Total d’un nouvel accord d’exploitation de gaz avec le Qatar a été saluée comme une bonne nouvelle. Si la Trajectoire climatique 2050 réussit, c’est une addiction terrible que nous aurons réussi à mettre derrière nous.

Reste le financement des sponsors et, derrière les sponsors, le rôle de la Fédération Internationale de Football Association, la toute puissante FIFA. Dans ce domaine des progrès plus rapides pourraient être obtenus.

 

Demander des comptes aux sponsors pour qu’ils les demandent à la FIFA

On peut s’inspirer des comptes que rendent de plus en plus les grandes entreprises sur leur comportement à travers des données qu’on appelle ESG, pour Environnement, Société (ou social) et Gouvernance. Ces données visent à prouver que le comportement de l’entreprise respecte l’intérêt collectif. Elles s’étendent à ses filiales et à ses fournisseurs.

La FIFA est formidablement protégée par son statut suisse d’organisation internationale, et par une fortune évaluée à 1,5 milliard de dollars ; mais elle dépend quand même de ses sponsors. La FIFA, quand elle organise une coupe du Monde, devrait être vue comme un sous-traitant des sponsors, leur fournissant les mêmes données ESG que celles qu’ils réclament à leurs sous-traitants : sur l’empreinte sociale de la coupe (donc les accidents du travail), son empreinte climatique (donc les gaz à effet de serre relâchés par la préparation et la tenue des matchs) et sa gouvernance (donc les actions pour éviter la corruption).

 

Progresser en continu

Ces données permettraient de progresser de coupe en coupe renvoyant cette coupe de Doha à ce qu’elle est : un repère sombre, une référence à ne jamais reproduire. Doha, c’était il y a longtemps, le passé, une autre époque…

Ces données devraient être réelles, pas des données après différentes « compensations » par lesquelles les autorités qataris rachètent la débauche carbone de leurs stades flambants neufs (300 000 places) et osent affirmer que l’évènement est « climatiquement neutre », sous prétexte qu’ils financent des reforestations en Afrique. Imaginons le même raisonnement sur l’empreinte sociale : « oui, 6 500 ouvriers sont morts, mais nous finançons une campagne de prévention des accidents au Pakistan qui devrait économiser le même nombre de vies ».

L’approche pousserait les scénarios « zéro construction nouvelle » et amènerait à réfléchir à d’autres approches,  comme de spécialiser certains pays dans l’organisation systématique de certaines compétitions, en répartition une fois pour toute les compétitions entre pays, un peu comme l’Union européenne répartit ses institutions entre les pays.