retraites, quelles leçons ? (29.03.23)

Numéro 58 – 29 mars 2023

 

Deux modèles de décision collective

La dernière saison de la série Renégociation des retraites en France se termine. Elle rend prémonitoire le diagnostic de notre numéro d’après les dernières législatives, qui annonçait le risque de blocage dès le début de la législature par la double tentation de l’opposition et de la majorité relative de bloquer en prenant chacun l’opinion à témoin de la perfidie de l’autre camp. Elle éclaire de façon cruelle la façon dont nous prenons nos décisions collectives.

Il nous semble à Réconcilions-nous ! qu’il y a deux modèles parmi toutes les façons dont une collectivité peut prendre ses décisions collectives. Le premier modèle est le jeu de l’affrontement avec à la fin le choix du plus fort, un modèle du chef. Le second est la discussion avec à chaque étape une décision recherchant le consentement le plus large possible. Nous pensons que le second modèle apporte efficacité et plaisir à vivre ensemble. Et qu’il repose à la fois sur la qualité des joueurs et sur la qualité des règles du jeu. L’un de nos thèmes de discussions est la façon de se rapprocher, pas à pas, du modèle du consentement.

Pas à pas, parce que ces deux modèles sont comme deux pôles géographiques : on n’est jamais juste dessus. Dans la vraie vie de toutes les démocraties, il y a toujours des discussions, toujours des rapports de force, et il est difficile de vérifier le consentement : le vote, censé être le symbole du bon mécanisme de décision collective, est aussi une façon de couper la discussion pour laisser place au choix des plus forts. Mais des boussoles nous aident à voir où on est par rapport aux pôles et si on s’en rapproche ou si on s’en éloigne.

Décisions du Président ou du Parlement ?

Nous avons souligné dans plusieurs numéros au moment de l’élection présidentielle (et par exemple ici) pourquoi et comment notre règle suprême du jeu politique, la constitution, nous tirait collectivement vers le bas, avec un système largement présidentiel isolé au milieu de démocraties européennes parlementaires.

Les discussions sur les retraites ont illustré ce que nous appréhendions : ce qui s’est passé en France n’aurait pu arriver chez nos grands voisins, d’où les commentaires surpris de beaucoup de journalistes étrangers. Sur des décisions qui concernent fortement tout le monde, comme les retraites, une démocratie parlementaire à la scandinave entame des discussions longues, sans limite de temps, et aboutit à des accords votés par le Parlement à l’unanimité. Une démocratie parlementaire à l’allemande ou à la suisse vise des coalitions larges et prend le temps de les construire. Nous avons vécu en quelques mois : des discussions au niveau des syndicats, débouchant sur un affrontement assez puissant pour provoquer l’union très rare de tous les syndicats salariés, puis sur la victoire du plus fort, le politique, qui a sorti la discussion de l’enceinte sociale pour la porter au parlement. L’affrontement y a ensuite débouché sur la victoire du plus fort, l’exécutif présidentiel, qui a mis fin à la discussion dans l’enceinte parlementaire.

Le système français reste loin du modèle du chef : le projet a bougé sur différents points au cours des débats. Mais on reste bien plus proche que chez nos voisins du modèle de l’affrontement avec à la fin la décision du plus fort que du modèle de la discussion conduisant au consentement de tous.

A mauvais jeu, joueurs médiocres

Une règle du jeu façonne les joueurs. L’effet pervers de notre constitution présidentielle est qu’elle suscite des chefs jouissant d’une confiance folle dans leur propre qualité de jugement qui va en augmentant avec le temps : loin de les ébranler, la force des oppositions valorise à leurs yeux leur propre courage et leur capacité à faire le bonheur des autres, y compris malgré eux. Chez les électeurs, on retrouve une confiance folle symétrique dans la capacité du chef adoré à répondre aux malheurs individuels et collectifs, et un rejet des contre-pouvoirs qui pourraient l’entraver. Une confiance qui ne résiste pas généralement à l’épreuve du pouvoir et peut être facilement remplacée par la confiance dans un autre chef, celui qu’on n’a pas encore essayé.

Le danger au fil de l’eau est d’aboutir à des joueurs, des jeux et des décisions plus médiocres que chez nos voisins, avec le risque qu’une part croissante des joueurs se convainquent que le problème n’est pas l’énormité des pouvoirs présidentiels, mais qu’au contraire, le pays fonctionnerait mieux avec une concentration plus grande encore des pouvoirs.

Toutes les réponses ne sont pas dans la constitution et nous reviendrons notamment sur le rôle que pourrait jouer l’éducation à la négociation (plutôt que l’éducation à l’obéissance et à la décision). Mais beaucoup de réponses sont dans l’évolution de la constitution. Lesquelles ? Nous invitons à relire notre numéro décrivant les prochaines présidentielles de 2027, en espérant que nous serons aussi prémonitoires sur la fin apaisée de ce quinquennat que nous l’avons été sur ses débuts déprimants.