Dernière modification le 11/04/2022 à 11:45

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l’isoloir génevois, ancêtre de la démocratie directe

(extrait d’un article AOC de Raphaël Barat, historien et auteur en janvier 2022 de Voter pour rien chez Payot)

Genève, 1707. Au terme de cinq mois de crise politique, les citoyens de la petite république obtiennent l’introduction d’une « loge » ou isoloir dans les élections, et l’instauration d’assemblées périodiques pour délibérer ensemble des lois tous les cinq ans, dans un esprit de démocratie directe [1].

Dans la République de Genève, le vote devait inciter à la déférence. Les bourgeois et citoyens réunis en Conseil général, un tiers de la population masculine adulte, constituaient le peuple politique des riches marchands aux artisans modestes. Chacun votait  « banc par banc » pendant environ 4 heures. Les citoyens exprimaient leur suffrage à l’oreille de 3 secrétaires (on parle de vote « auriculaire ») pour élire les magistrats proposés sur une liste classée, à laquelle ils se conformaient le plus souvent, même si parfois on menaçait de faire « sauter les vieux », c’est-à-dire de ne pas reconduire les sortants.

C’est ce fonctionnement qu’ils contestèrent lors de la crise de 1707, la première des « révolutions genevoises » du XVIIIe siècle[2], dénonçant un vote auriculaire qui les mettait sous pression. Les électeurs n’osaient pas alors « suivre les sentiments de leur conscience », et, plutôt que de donner leur suffrage à ceux « dont ils ont fait le choix dans leurs âmes », ils les donnaient aux parents des syndics. Ils risquaient alors le parjure, puisqu’ils avaient fait le serment d’élire « ceux qui sont propres et idoines », et c’est le salut de leur âme qui était ainsi remis en question.

Les citoyens réclamèrent donc l’introduction du vote par billet et d’une « loge » ou isoloir, dans laquelle ils pourraient réfléchir librement à leur choix et prendre le temps de « rentrer en eux-mêmes » afin de prendre la bonne décision. Cette pratique, qui fut instaurée au terme de la crise, était alors très nouvelle pour une assemblée populaire. Comme l’écrivit Montesquieu un peu plus tard, le vote secret n’était censé convenir qu’aux assemblées restreintes et « sages », alors que « lorsque le peuple donne ses suffrages, ils doivent être publics » car il faut que « le petit peuple soit éclairé par les principaux, et contenu par la gravité de certains personnages »[3].

Notre modèle actuel du vote secret est censé créer « un espace neutralisant les appartenances sociales et favorisant l’isolement de l’acte électoral du tissu des activités sociales quotidiennes »[5].

Notre système représentatif, en pratique, est très loin d’être parfait : manque de représentativité sociologique des élus par rapport à la population, faible niveau de confiance dans le personnel politique, abstention et non-inscription sur les listes électorales etc[7].

Un des révolté, le maître-tailleur François Delachana justifie la demande d’une démocratie plus directe par la sagesse du plus grand nombre puisque selon lui tout le bon sens ne réside pas dans le Petit Conseil, mais qu’« il y en a parmi le peuple » et qu’il est permis « aux mains de redresser la tête quand elle penche », et les magistrats ne doivent être que les « commis et économes » du peuple, ils ne sont que « Messieurs les sous-arcboutants de nos affaires ».

Pendant la Révolution française, en 1793, Condorcet conçut dans son Exposition des principes et des motifs du plan de Constitution (1793) un système sophistiqué permettant des procédures de démocratie directe à l’échelle de toute la France. Des assemblées primaires comptant 400 à 900 citoyens au niveau du village ou d’une petite région, en constituaient la cellule de base : pour proposer une nouvelle loi, demander qu’une loi soit soumise à un nouvel examen, ou demander un changement dans la Constitution et partait toujours « d’en bas ».

De même, la Suisse a développé au cours du XIXe siècle des procédures de démocratie directe à l’échelon municipal, cantonal aussi bien que fédéral, C’est le cas aussi de nombreux États américains, dont 49 connaissent le référendum constitutionnel obligatoire, 21 l’initiative populaire sous différentes formes et 38 le référendum révocatoire ou recall.

Ces processus directs peuvent permettre à des gouvernements de mettre au cœur du débat public des questions qu’ils n’auraient pas osé porter par la seule voie parlementaire parce que trop polémiques et risquant d’obérer leurs chances de réélection, ces assemblées citoyennes permettant aussi de réfléchir aux principaux arguments du débat avant de soumettre la question à un référendum. Ils pourraient permettre de « démocratiser la démocratie »[9].

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