Le conflit en Ukraine (31.1.22)

Numéro 12 – 31.1.2022

 

  • Des bruits de bottes en Europe 

Le dirigeant russe Vladimir Poutine a exigé des négociations sur l’Ukraine et la sécurité en Europe. Le dirigeant américain Joe Biden a accepté et des premières réunions ont eu lieu à Genève, suivies d’échanges de courriers. Il est difficile pour les citoyens d’avoir un avis éclairé : chaque camp essaie d’influencer les opinions. R! n’a aucune information confidentielle, nous essayons simplement d’apprécier la situation du point de vue de l’intérêt collectif.

Discuter est toujours positif et les Russes avaient des arguments pour obtenir cette négociation : la stratégie américaine de pousser sans cesse son avantage depuis la chute de l’Union soviétique ; une tradition historique (Kiev, capitale de l’Ukraine, est aussi le berceau de la Moscovie) ; et son pouvoir de nuisance en Ukraine. Le problème pour notre intérêt collectif est que la France est absente de la négociation.

 

  • L’Europe, notre seul levier dans cette négociation

La question du rôle de l’Europe divise souvent les Français. Dans le cas de cette négociation, deux choses paraissent claires. La négociation en cours touche nos intérêts collectifs puisqu’elle concerne la sécurité en Europe et l’Ukraine, pays frontalier à la fois de l’Europe et de la Russie ; et nos intérêts sont différents de ceux des Russes et des Américains. Il est donc dangereux d’être absents. Il est clair aussi qu’aucun pays européen seul ne se fera entendre des deux négociateurs :

  • Ils apprécient leur tête à tête : les Américains savourent leur rôle de chef de l’alliance militaire qu’ils dirigent, l’OTAN ; les Russes savourent de négocier d’égal à égal avec les Américains.
  • Ils sont persuadés qu’ils pourront toujours jouer les membres de l’Union européenne les uns contre les autres : les Américains expliquent aux membres à l’Est que ceux de l’Ouest sont naïfs et dangereux parce qu’ils sous-estiment le danger russe ; les Russes expliquent aux membres à l’Ouest qu’il serait absurde de se retrouver plongés dans un conflit qui ne les concerne pas vraiment : qui veut mourir pour Kiev ?

Nous sommes donc dans un cas où la France ne peut peser que par l’Europe. Et l’Europe, alliée des États-Unis, ne pèsera que si les 27 imposent d’une seule voix aux Américains leurs lignes rouges et leurs flexibilités, dans le donnant-donnant auquel se ramène finalement une négociation.

 

  • Une ligne rouge européenne : terminer la guerre civile en Ukraine

Dit de façon abrupte : la nation ukrainienne n’a pas de longue tradition démocratique ; elle souffre de divisions multiples, manipulées par des oligarchies locales puissantes ; et surtout elle est en proie à une guerre civile : on tire au canon entre l’Ukraine de l’Est et de l’Ouest. L’intérêt collectif de l’Europe est de ne rien faire pour alimenter cette guerre civile à nos portes, par exemple par des armes ou des promesses de soutien militaire, mais de tout faire au contraire pour que les deux camps comprennent qu’ils sont obligés de s’entendre ou de divorcer à l’amiable (c’est d’ailleurs ce que la France et l’Allemagne ont obtenu dans les accords précédents sur l’Ukraine).

Il y a là une profonde différence de l’Europe avec les deux négociateurs : la Russie et les Etats-Unis mettent clairement l’option « guerre civile » sur la table. Ils ont d’ailleurs déjà commencé en armant lourdement chacun des deux camps. Les Russes ont des conseillers en Ukraine de l’Est et massent leurs troupes à sa frontière. Les Américains ont des conseillers en Ukraine de l’Ouest et font fuiter dans la presse américaine, parmi la liste des rétorsions envisagées, l’armement d’une guérilla en Ukraine. Les Européens, et au premier rang les Ukrainiens, ont énormément à perdre à travers ces menaces de rétorsion économiques, financières et militaires : le spectre d’une nouvelle Syrie avec ses flots de malheurs et de réfugiés. Le président ukrainien Zelenski vient d’ailleurs de demander aux occidentaux de ne pas accroître la tension.

 

  • Une flexibilité européenne : bloquer l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN, sauf agression russe

La ligne rouge de la guerre civile donne aussi une flexibilité possible du point de vue de l’intérêt collectif européen : indiquer aux Américains que les Européens s’opposeraient à une demande d’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN (qui serait d’ailleurs l’adhésion d’une partie de l’Ukraine, compte tenu de la division actuelle du pays). Cette adhésion renforcerait en effet un camp contre l’autre en prenant parti militairement dans la guerre civile. Cette position européenne ferme pourrait pousser les Américains à proposer aux Russes un traité en bonne et due forme qui neutralise l’Ukraine sur le plan militaire, en la laissant libre de s’associer culturellement, politiquement et économiquement au monde occidental (elle serait dans la situation qui a longtemps été celle de l’Autriche).

 

  • Des contreparties pour les Européens

Les Américains peuvent s’accommoder de ces conditions sans perdre la face, et probablement monnayer ce renoncement par des garanties de sécurité, puisque le renoncement à l’OTAN de l’Ukraine est un objectif majeur pour les Russes. Le troisième volet du message aux Etats-Unis à négocier entre Européens serait nos préférences dans ces contreparties : notamment, moins d’armements offensifs à proximité de l’Union, l’arrêt des cyberattaques et des jeux d’influence russes dans nos élections, et une plus grande stabilité des approvisionnements énergétiques européens pendant la transition climatique, en volume et en prix : les pays de l’Union européennes sont fortement déstabilisés par les fluctuations actuelles du prix du gaz, qui rejaillit sur les factures d’électricité, nous en reparlerons dans notre prochain numéro.

 

Découvrez le débat R! en cours sur : Des armes de guerre d’intérêt collectif