l’enseignement des mathématiques (4.4.22)

Numéro 21, 4 avril 2022

 

  • La polémique sur les nouveaux programmes

La France vient de connaître une de ses polémiques intenses et récurrentes sur les programmes scolaires, à propos de l’enseignement des mathématiques. Le ministre actuel comme ses prédécesseurs (un tous les trois ans en moyenne) a modifié « les programmes ». L’enseignement secondaire est organisé autour de groupes d’enseignants ayant chacun une seule matière (nous sommes le dernier pays d’Europe dans ce cas) : chaque réforme se traduit par une compétition entre ces groupes pour augmenter leur quota d’heures Le nouveau programme ne prévoit plus de mathématiques obligatoires dans les options de terminale, et les enseignants de mathématiques dénoncent une chute de 90% à 59% du nombre de jeunes suivant un enseignement de mathématique en terminale, chute plus forte pour les filles.

 

  • Une performance nationale médiocre

Cette baisse a été mise en face de notre échec collectif sur les performances en enseignement des mathématiques. Nous avons de brillants mathématiciens, mais les classements internationaux montrent que le niveau moyen en mathématique des jeunes en cours moyen et en quatrième décline et nous met en fin de classement (avant-dernier de la classe devant le seul Chili).

Ces deux faits sont justes mais sans lien (puisqu’il est trop tard en terminale pour améliorer ces performances de base) et ils nous disent des choses différentes pour l’intérêt collectif. Oui, dans un monde qui quantifie tout, une mauvaise maitrise des outils quantitatifs de base est un handicap collectif inquiétant. Mais faut-il pour autant que toute une classe d’âge apprenne encore plus de mathématiques abstraites en terminale ? Cette question mérite d’être posée de façon plus générale : quel bagage commun transmettre à toute une classe d’âge ?

 

  • Quelles mathématiques pour toute une classe d’âge ?

Difficile de savoir matière par matière de quoi les jeunes d’aujourd’hui auront besoin dans 20 ou 40 ans… Une certitude est que chacun devra savoir coopérer tout au long de sa vie et pour cela maitriser un bagage commun de raisonnements et d’outils de communication, notamment en communication quantitative : avec ses collègues de travail, ses concitoyens, dans sa vie privée, ou simplement pour comprendre le monde.

Citons quelques repères sur ce que recouvre “communication quantitative” : la maitrise des ordres de grandeur, des proportions, de l’égalité, l’inégalité et des encadrements, du partage, de la croissance (de la taille, des prix, de la population), l’intérêt pour cela de manipuler  des nombres, de l’addition, la soustraction, la multiplication, de la division, les pourcentage ; les pièges des arguments chiffrés, dans les offres commerciales ou politiques ; une compréhension intuitive du risque et de l’intérêt de le mesurer, les probabilités (par exemple remarquer que des sondages sur 1000 personnes donnés à 0,5% près n’ont pas grand sens), les écarts à la moyenne, les distributions, la corrélation entre deux grandeurs et ce qu’on peut en tirer… ou pas ; ce qu’est un salaire faible, moyen, élevé ; comment lire un bulletin de paie et le compte d’une auto-entreprise…

Cela a peu à voir avec « faire un calcul juste » : il y aura de plus en plus de machines pour ça. Par exemple, l’immense majorité des Français ne posera pas une fois dans sa vie d’adulte une équation du premier degré ou une division avec retenue; encore moins un calcul logarithmique ou de trigonométrie.

 

  • La réponse viendra des enseignants

Aujourd’hui cette maitrise du quantitatif n’est la responsabilité d’aucun enseignant ou enseignante en particulier : c’est un savoir généraliste qui s’applique à tous les domaines d’expertise, qui part du monde concret pour montrer où et comment il gagne à être bien quantifié. Quelque chose que notre système d’éducation par matière ne sait pas enseigner, puisque les enseignants de mathématiques ont du mal à faire passer un programme formel et ambitieux, et que ceux des autres disciplines ont leur propre programme à respecter.

Les pays qui ont su faire progresser leur système d’éducation ont abandonné l’idée qu’un enseignement généraliste est l’addition d’enseignements par matières. Ils s’appuient sur les projets, non pas comme en France pour « appliquer le cours », mais comme la meilleure façon d’acquérir les savoirs des différentes disciplines. L’enseignant, expert en méthodes, favorise la réflexion et la collaboration autour de projets, et s’appuie sur eux pour dispenser les savoirs disciplinaires indispensables. L’expérience de ces pays est qu’il est plus efficace qu’un éducateur ou une éducatrice soit responsable du succès d’un groupe de jeunes (éventuellement sur plusieurs années comme dans le système finlandais) plutôt que d’inculquer une matière particulière.

Ces pays ont donc engagé un investissement résolu dans la formation des enseignants et dans les outils mis à leur disposition. La formation généraliste au quantitatif concernerait directement les enseignants du primaire, là où tout se joue.  Nos enseignants du primaire ont déjà l’approche généraliste, mais beaucoup ont développé au cours de leurs études une méfiance envers les mathématiques formelles qui touche à l’aversion et risque d’être communicative.

  • Et les mathématiques passion ?

Au-delà de ce numéro très court, R! défend dans ses pages consacrées à l’éducation une partie commune et généraliste de l’éducation, permettant à chaque jeune d’échanger tout au long de sa vie, et une partie personnelle qui l’aide à trouver et à cultiver ses passions personnelles. Les mathématiques sont une de ces passions, comme la poésie, et particulièrement utile aujourd’hui pour la collectivité, vu le poids gigantesque de la science et de la technique. Notre intérêt collectif est donc d’encourager et de valoriser les jeunes de tout genre qui ont cette passion de l’abstraction,  et que des enseignants passionnés en mathématiques leur permettent de la pousser aussi loin qu’ils en sont capables et apprennent la beauté de l’effort d’approfondissement d’une passion.

 

Découvrez le débat R! en cours sur : Un parcours guidant chaque jeune vers l’âge adulte (le Parcours Jeune)