Numéro 17 – 7 mars 2022
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Encore une polémique sur l’emprisonnement des jeunes délinquants
Une dispute vient d’opposer adversaires et partisans des bracelets électroniques pour les jeunes des banlieues. Les adversaires réclament la prison et dénoncent des bracelets devenus des « badges d’honneur » dont certains jeunes se glorifieraient. Les seconds font valoir les avantages du bracelet par rapport aux coûts financiers et humains de la prison. Ils rejouent la vieille dispute du « pour ou contre la prison ». R! suggère de poser la question différemment: comment éviter au maximum qu’un(e) juge se trouve devant la décision d’envoyer (ou non) un jeune en prison la première fois? (On peut parler « du » jeune, puisque 95% des emprisonnés sont masculins.)
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Enfermer 24/7 coûte cher à la collectivité
Partisans et adversaires de la prison sont en effet d’accord qu’elle coûte très cher à la collectivité. Mais les calculs de R! montrent que ce coût est sous-estimé. Une personne enfermée nous coûte 36.000€ par an directement. La collectivité perd aussi ce que la personne aurait pu lui apporter : un adulte paie en gros 9000€ par an (40% de son revenu) en contributions qui servent à l’assurer (maladie, chômage, accidents de la vie…) et à assurer d’autres: les jeunes, les vieux et tous ceux qui ne peuvent pas travailler. La contribution d’une personne enfermée est perdue et alourdit la contribution des autres actifs : au total, chaque prisonnier ajoute l’équivalent de 5 inactifs de plus à financer par les actifs.
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Le coût réel est bien pire pour un premier emprisonnement
Le coût réel est encore plus lourd pour le premier emprisonnement d’un jeune car la prison entraine à la récidive : un prisonnier sur trois récidive et retourne alors 4 fois sur 5 en prison (la récidive est même supérieure à la moitié pour les plus jeunes). Il faut donc tenir compte du coût futur du jeune emprisonné tout au long de sa vie, en surveillance et en manque à gagner et bien sûr du coût économique ET humain pour ses futures victimes. Sous certaines hypothèses, le premier enfermement d’un jeune coûterait en moyenne plus d’un demi-million d’euros à la collectivité en argent et bien plus en souffrances humaines.
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Prendre le problème à sa racine
En emprisonnant un jeune, la collectivité se tire dans le pied. Mais la décision du juge n’est que le dernier maillon d’une série de mauvaises décisions du jeune. On sent bien qu’il faut remonter le plus haut possible, souvent vers 12-13 ans, quand le jeune est encore soumis à la surveillance de ses parents et à l’obligation scolaire et qu’il fait ses premiers faux-pas, chapardage, cours manqués, harcèlement de camarades… Quand les parents et l’école doivent réagir vite sous peine que le jeune perde pied. Et que l’exclusion de l’établissement est rarement la bonne solution.
La meilleure façon d’aider le jeune serait de le responsabiliser : qu’il entende le même message de ses parents, de ses éducateurs et de tous ceux qui s’intéressent à lui: “Voilà ce qu’il va t’arriver de bien si tu joues le jeu, et voilà l’échelle des punitions si tu triches”. Une façon de synchroniser ces messages serait de définir un contrat probatoire, à la disposition de l’établissement scolaire, que devrait signer le jeune qui ferait un premier faux pas, ses parents et ses enseignants.
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La carotte et le bâton
La carotte des contrats est celle que peut promettre à un jeune une école de la réussite, qui accepte le défi qu’aucun jeune n’en sorte en situation d’échec. Un défi que nous avons commencé d’aborder dans notre numéro sur les absences d’enseignants et dont nous reparlerons. Cette école de la réussite demandera des moyens importants. Notre logique marchande nous empêche souvent de comprendre ce que “rapporte” une école de la réussite: il faut garder en tête que chaque jeune qui joue le jeu, chaque incarcération évitée, c’est beaucoup de souffrances en moins et aussi énormément d’argent en plus pour la collectivité.
Reste la question du bâton. Comment inventer une échelle de punitions simples, claires, qui réunissent parents et enseignants, qui soient douloureuses pour un gamin de 12 ans sans le blesser, et gérables à coût modéré ?
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Des portables stupides ET intelligents ?
La solution est peut-être sous nos yeux. Aujourd’hui, notre lien au monde est notre téléphone portable, et encore plus pour un adolescent. Il trace tout, un peu mieux chaque année, souvent à notre insu. Comment l’utiliser de façon pédagogique et démocratique ?
En préparant ce numéro, l’idée a émergé d’un « portable probatoire » imposé au jeune qui signe un contrat probatoire. Son smartphone lui est confisqué et remplacé pour un temps par un portable à fonctionnalités de communication minimale avec les copains (un « Dumb phone ») mais à fonction de traçabilité maximale (pour vérifier par exemple que le jeune le transporte bien toujours avec lui). La graduation des punitions serait la prolongation de la confiscation et le durcissement progressif de la surveillance, jusqu’à associer la police au contrôle si et quand les choses dérapent. Plutôt que de nous disputer sur la prison, discutons cette idée et d’autres, des risques et des avantages associés, lançons un hackathon, expérimentons. Avec un objectif consensuel et simple, éviter aux juges, aux jeunes et aux parents de se retrouver coincés entre des décisions toutes mauvaises.
Découvrez le débat R! en cours sur : Des peines de justice d’intérêt collectif