Numéro 4 – 6 décembre 2021
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Une actualité riche en polémiques sur les sondages politiques
Il a été beaucoup question de sondages politiques ces dernières semaines. Citons en vrac :
- La démission du chancelier autrichien Sébastian Kurz, accusé d’avoir financé des sondages trafiqués qui ont mis sur orbite sa carrière politique avec l’argent du ministère des Finances.
- La dénonciation des sondages politiques par Ouest France, et la décision du premier quotidien français en tirage de ne pas en commander pendant la campagne présidentielle.
- Le procès de sondages confidentiels commandés par l’Élysée dans des conditions critiquées.
- L’enquête d’un grand reporter du Monde montrant comment il a pu sans contrôle arrondir ses fins de mois en répondant en batterie à des questionnaires en ligne de toutes natures.
- La tentation d’un parti politique français d’organiser une primaire entre ses candidats à l’élection présidentielle « par sondage ».
- Les interrogations sur la façon dont des sondages ont pu donner une stature « présidentielle » à un candidat à cette élection avant même qu’il soit déclaré candidat.
(Sur le caractère vague de ces deux dernières informations, rappelons une particularité de R! : nous ne citons pas dans nos textes ou discussions des personnes politiques ni leur parti, que ce soit en bien ou en mal, pour éviter de se fâcher – mais nous discutons de leurs idées.)
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Les sondages sont-ils d’intérêt collectif ?
La réponse ne peut être que positive : une collectivité a intérêt à se connaître et il est éclairant de savoir ce que pensent les Françaises et les Français. SI c’est vraiment ce qu’ils pensent. Dans une démocratie, le peuple est censé décider. Celui qui peut affirmer avant une décision collective : “les Français veulent que…” dispose d’un pouvoir, pour éclairer la décision …ou pour la manipuler. Tout sondage sur des questions politiques présente donc aussi un risque pour l’intérêt collectif : le propriétaire d’un sondage n’est-il pas un ventriloque, parlant à notre place ? Peut-il fabriquer nos réponses sur un coin d’ordinateur, à des questions qu’il choisit et à un moment qui l’arrange ?
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Une qualité scientifique discutable
« Faire parler » 45 millions d’électrices et d’électeurs avec un sondage est une technique scientifique, ou une manipulation : tout dépend des méthodes de production et de communication de l’enquête. Elles sont malheureusement médiocres pour beaucoup de sondages alimentés par des questionnaires en ligne auxquels ne répondent que des prestataires rémunérés à la tâche. Le défi est simplement d’imposer aux sondages des méthodes scientifiques : cela signifie notamment un contrôle sur la méthode de collecte des réponses, sur le choix des questions posées, sur la transparence des résultats bruts et de leurs correctifs, et finalement sur les limites d’interprétation des résultats publiés. Avec trois effets indirects probables : augmenter le coût des sondages, réduire leur nombre et rappeler qu’ils ont beaucoup de mal à classer finement des intentions de vote entre candidats.
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Une présélection obscure des candidats
Les sondages d’intention de vote entre candidats contribuent-ils à l’intérêt collectif ? Généralement commandés par les médias, ils renforcent leur poids dans le processus de sélection des candidats et aggravent ses effets pervers. Les médias ont besoin de challengers pour “faire le spectacle” : d’où l’apparition régulière de personnalités originales, généralement clivantes, journalistes, acteurs, humoristes, marginaux de la politique… à qui des sondages au bon moment vont donner du poids. Donc, oui, les sondages contribuent fortement à pré sélectionner les candidats à notre élection politique reine. Mais qui d’autre va s’en charger ? Le défi serait de nous accorder sur une méthode de présélection des candidats plus respectueuse de l’intérêt collectif.
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Faiblesses des sondages… ou des médias ?
Les sondages biaisent-ils l’opinion, et donc les élections ? C’est possible, mais la question les dépasse largement : c’est l’ensemble du traitement médiatique des élections qui les influence et peut mettre en danger l’intérêt collectif quand les médias sont soumis à des intérêts particuliers, politiques ou marchands. Le défi serait d’alimenter les débats électoraux de façon complète et non partisane : en sondages, mais plus largement en chiffres et en études.
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Faiblesses des sondages… ou de la présidentielle ?
On accuse les sondages de tirer les débats politiques vers le bas, en les enlisant dans une approche « petits chevaux » de la compétition politique plutôt que dans les grandes questions collectives. On accuse également les sondages de faire disparaître un candidat ayant des choses importantes à dire, s’il est marginalisé au départ par des sondages déplorables puis systématiquement interrogé ensuite sur son maigre pourcentage. Les deux constats sont justes, mais qui est responsable, sinon l’élection présidentielle ? C’est l’élection présidentielle qui met le projecteur sur les personnes plutôt que sur les enjeux, elle aussi qui justifie qu’on s’intéresse plus aux chances d’un candidat qu’à ses idées. Une élection a les sondages qu’elle mérite. Nous aurons l’occasion d’y revenir au cours de la campagne.
- Ce regard sur les sondages politiques et la campagne présidentielle est rapide et forcément limité : n’hésitez pas à le critiquer dans le forum (sous ce numéro).
- Nous espérons poursuivre avec vous la discussion sur les pages que R! consacre aux sondages, et à la politique, avec leurs espaces de discussions-construction.
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