la guerre, jusqu’où ? (28.03.2022)

Numéro 20 – 28 mars 2022

 

  • Que veut Poutine ? Et que veut l’Europe ?

Rares sont ceux qui sont au courant des négociations et ils n’écrivent pas dans la presse. Les spécialistes qui écrivent interprètent différemment des déclarations de Vladimir Poutine dont personne ne sait le degré de fiabilité. Ils en tirent des conclusions opposées quant à la possibilité d’un accord rapide entre la Russie et l’Ukraine.

Certains considèrent qu’un accord est impossible aujourd’hui parce que Poutine veut mettre l’Ukraine à genoux, détruire son gouvernement et sa démocratie, éradiquer ceux qu’il considère comme des nazis. Pour eux, Poutine n’y renoncera que s’il subit une défaite cuisante. Dans ce scénario, une guerre directe contre la Russie impliquant la France parait inévitable.

D’autres pensent au contraire qu’un accord est proche, puisque Zelenski a indiqué renoncer à l’OTAN, que Poutine a indiqué renoncer à faire tomber le gouvernement, et qu’il semble obtenir avec Marioupol la continuité territoriale entre le Donbass et la Crimée (et aussi probablement l’écrasement du bataillon Azov défendant la ville, principale prétexte de sa demande d’une « dénazification » de l’Ukraine).

 

  • Éviter une troisième guerre mondiale

R ! n’a ni l’expertise ni la volonté pour trancher entre ces scénarios. En recherchant « une France et une Terre meilleures à vivre pour tous », nous voudrions adopter le point de vue des victimes, des plus faibles, qui souffrent le plus dans les guerres et ont le moins voix au chapitre.

L’opinion d’une démocratie peut pousser à la guerre. On l’a vu après le 11 Septembre : c’est largement la frustration de l’opinion qui a convaincu les dirigeants américains qu’il fallait « faire quelque chose de spectaculaire » et provoqué la coalition militaire en Afghanistan. Ce déchainement de puissance militaire n’a pas obtenu les objectifs poursuivis mais il a créé des millions de victimes (voir notre numéro sur le drame Afghan).

Une frustration équivalente de l’opinion est perceptible aujourd’hui face à cette guerre impossible à arrêter. Elle ne cible plus seulement Poutine et ses proches, mais tout ce qui est russe, avec des actes de xénophobie contre les noms à consonance russe, contre les peintres de la Russie, ses compositeurs, et l’exigence de nouvelles sanctions faite à chaque organisation privée, non gouvernementale ou gouvernementale.

Cette frustration peut accélérer la course vers le pire. Les Nations Unies nous alertent sur les situations désespérées en Ukraine, sur le fait que la prolongation de la guerre peut signifier des dizaines de millions de personnes déplacées et des dizaines de millions de personnes menacées de famine ailleurs dans le monde (peut-être des centaines de millions en cas de troisième guerre mondiale…). Il faut donc tout faire pour accueillir au mieux les réfugiés mais tout faire aussi pour arriver à court terme à un accord et à un arrêt de la guerre : éviter que notre admiration pour le courage des Ukrainiens les enferme dans le scénario qu’un accord n’a pas de sens sans défaite de Poutine, quitte à provoquer un embrasement général.

 

  • Ne plus dépendre de Poutine

Un accord, si les diplomates y parviennent, sera terriblement frustrant : tous ces morts pour que Poutine s’en tire ? Oui sans doute aujourd’hui parce que cela ne dépend pas de nous. Non demain, si nous mettons toute notre volonté autour d’un objectif simple : zéro dépendance envers la Russie tant que Poutine ou son équivalent est au pouvoir. Les sanctions ne feront pas tomber immédiatement Poutine. Mais la Russie ne pèse économiquement que 20% de l’Union européenne et l’origine du pouvoir de Poutine comme la puissance militaire russe reposent sur la rente pétrolière russe accaparée par ses élites. Le risque climatique nous oblige à nous passer de beaucoup de ces produits le plus tôt possible. En accélérant cette transition et en coupant en priorité les contrats avec la Russie, on scie la branche sur laquelle est assis le régime, et on réduit chaque année son pouvoir de chantage (voir notre numéro sur les sanctions contre Poutine). Cette stratégie nous protège du scénario d’un Poutine qui réclamerait toujours plus de démocraties trop faibles. Et elle peut être acceptée par les plus faibles si nous savons protéger les plus faibles de la hausse du coût de l’énergie (voir notre numéro sur la facture d’électricité).

 

  • Mettre fin à l’impunité du plus fort à l’international

Mais si Poutine croit à son impunité, c’est qu’il observe le monde tel qu’il est : impunité pour un dirigeant en Arabie saoudite qui mène une guerre sanglante chez un voisin et fait découper en morceau un journaliste opposant capturé dans un pays étranger ; impunité pour un dirigeant en Syrie qui a fait torturer à mort des dizaines de milliers de concitoyens (largement grâce à la Russie) ; impunité pour les responsables des millions de morts des guerres du Congo ; impunité attendue d’un dirigeant en Chine qui ne se cache pas de faire un jour contre Taiwan ce que Poutine a lancé contre l’Ukraine.

Le drame ukrainien doit servir de déclic. La résistance ukrainienne montre le poids de la volonté face au poids des armes. Après l’échec de tant d’aventures militaires récentes, il peut convaincre que la sécurité demain ne dépendra pas de l’empilement de plus d’armes, mais d’un système international plus acceptable pour les faibles parce qu’il ne repose plus sur l’impunité du plus fort, y compris quand nous sommes nous-mêmes les plus forts. Un monde nouveau où un dirigeant serait responsable de ses crimes. Nos autorités et nous avec elles avons eu la naïveté de croire que les échanges économiques et financiers transformaient naturellement des dirigeants nationalistes et autoritaires en bons voisins. Si nous voulons anticiper d’autres Ukraine, il nous faudra apprendre à privilégier les démocraties dans nos échanges, même quand cela nous coûte ; apprendre à ne plus dépendre des régimes violents, même quand cela nous coûte ; et apprendre à poursuivre et condamner des dirigeants criminels. L’impunité du plus fort n’est plus la règle du jeu au niveau national : elle devrait cesser de l’être au niveau international.

 

Découvrez le débat R! en cours sur : Des armes de guerre d’intérêt collectif