Numéro 16 – 28 février 2022
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La France et l’Europe réconciliées
Dans notre numéro sur l’Ukraine, nous regrettions que les Européens soient aussi faciles à diviser entre eux par les grandes puissances. L’agression de Vladimir Poutine a instantanément réconcilié tout le monde. Au niveau national d’abord, où toutes les sympathies poutiniennes ont disparu d’un coup. Et plus largement entre les 27 : c’est de Bruxelles qu’est venu leur communiqué de réaction. C’est la dimension positive de toutes les grandes menaces : elles sont des défis qui nous soudent et nous obligent à imaginer de nouvelles réponses. Comme face à « l’autre virus », nous découvrons qu’il remet en cause des habitudes confortables et qu’il oblige à des sacrifices. C’étaient les conclusions de notre numéro sur la gestion de 2 ans de Covid 19 et elles peuvent être facilement transposées du Covid 19 à Poutine, notamment quant à la solidarité face aux sacrifices.
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Reste à se mettre d’accord sur une stratégie à long terme
Cette unanimité apparente des démocraties conduit à une avalanche bienvenue de mesures immédiates. La question se pose d’une stratégie de sanctions dans la durée. En 2014, après la conquête de la Crimée et la partition de fait de l’Ukraine, le monde est revenu très vite au “business as usual”. Quelles sanctions durables imposer s’il ne fait pas marche arrière ? En étant bien conscients qu’une sanction qui fait mal fait mal des deux côtés.
La réponse habituelle est militaire et la course aux armements est une des addictions humaines les plus anciennes et les plus dangereuses pour l’intérêt collectif. Mais l’invasion de l’Ukraine montre les limites des sanctions militaires contre la Russie. Comment éviter l’impunité d’une puissance nucléaire qui dispose comme elle d’un droit de véto au conseil de sécurité, ce qui bloque toute sanction conforme au droit international ? Un véto qui peut bénéficier à ses vassaux (repensons à l’impunité du dictateur de Corée du Nord, protégé par la Chine et son droit de véto). La sanction efficace du 21e siècle pourrait être celle décrite par Joe Biden, quand il compare Poutine demain à un paria : l’exclusion de la collectivité universelle, l’exclusion du partage entre pays de l’information, du travail et des richesses de la Terre. Face à une violation gravissime du droit international, les démocraties, et au premier rang la France et l’Europe, doivent s’accorder sur des sanctions audacieuses contre la Russie de Poutine.
Ce défi de construire entre pays un système universel de sanctions et de récompenses non militaires, selon qu’un pays joue le jeu ou pas du droit international, est essentiel dans le cas Poutine, dont on sait qu’il a d’autres visées que l’Ukraine. Mais Poutine n’est pas le seul président incontrôlable. Nous devons progressivement inventer pour nos enfants et petits-enfants un système durable qui vaille pour le roi d’Arabie saoudite et le Yémen, pour le président du Pakistan et le Cachemire, pour le président de la Chine et Taiwan…
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Demain, zéro énergie carbonée russe dans l’Union Européenne
L’énergie est au cœur de la question des sanctions européennes contre la Russie. On la retrouve derrière le chantage de Poutine menaçant de fermer le robinet du gaz ; et derrière les hésitations à exclure complètement la Russie du système mondial de paiement Swift (qui permet les échanges d’argent entre banques et pourrait bloquer les échanges de gaz, de pétrole et de charbon). Perdre ces recettes ferait très mal à l’image de Poutine en Russie et à son pouvoir sur les Russes. Laisser en terre cette énergie carbonée aurait aussi d’énormes avantages pour la transition énergétique. Mais les Européens en consomment beaucoup et cela imposerait de lourds sacrifices et une forte solidarité. Un principe simple veut que céder à un maitre chanteur est toujours une mauvaise stratégie, parce qu’il recommence. Nous ne sortirons donc pas du chantage de Poutine tant que nous dépendrons de l’énergie qu’il contrôle. Il n’y a donc qu’une seule vraie question : sommes-nous prêts à nous accorder sur la réduction à zéro de la consommation d’énergie carbone russe en Europe, dans un délai à discuter ?
-Quelles que soient les rétorsions, nous pouvons oublier le scénario d’une hausse du prix du gaz « limitée à quelques mois » : la hausse, et probablement le rationnement du gaz, vont être terribles et durables. La solidarité entre les citoyens suppose que le sacrifice soit bien partagé : les conclusions de notre numéro sur le prix de l’électricité sont validées plus rapidement que prévu.
-Une solidarité entre les pays est également nécessaire, notamment avec les Allemands, pris à contre-pied dans leur stratégie de transition énergétique. Pourquoi aider les Allemands ? Parce que la France avec son nucléaire a aussi son scénario catastrophe : un vieillissement des centrales ou un accident nucléaire imposant d’arrêter une partie de sa production électrique. Un scénario qui nous rendrait dépendant de la solidarité européenne. L’attaque de Poutine peut construire cette solidarité énergétique européenne, fondée sur un compromis sur le mix d’énergie pour les 30 ans qui viennent, et une garantie d’assistance en cas de coup dur, sur le gaz aujourd’hui, sur le nucléaire peut-être demain.
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Faire converger les défis climatique, démocratique, pacifique et européen
Accélérer la transition énergétique en renonçant aux importations russes fait converger le défi climatique et trois autres défis.
- Le défi démocratique : le régime de Poutine et de ses oligarques ne tient que par la rente carbone et disparaitra de toute façon avec elle.
- Le défi de la paix : sans rente carbone, plus d’armée russe démesurée.
- Le défi européen : ce ne sera plus jamais “business as usual” avec Poutine, même s’il restait au pouvoir pour les 15 ans de mandat supplémentaire qu’il vient de s’octroyer. Mais la vision pour ‘l’après Poutine” est celle d’une Europe libre, en paix, décarbonée et ENTIERE, donc avec l’Ukraine et avec la Russie.
Découvrez le débat R! en cours sur : Des armes de guerre d’intérêt collectif